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Un arrêt important de la Cour de cassation en matière d’usufruit de titres, par Frédéric Douet


Le 30 novembre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt important (20-18.884) en matière d’usufruit de titres. Dans cette affaire, les associés d’une société civile immobilière ont cédé à titre onéreux l’usufruit temporaire des parts qu’ils détenaient dans cette société. L’acte constatant cette cession a été soumis au droit fixe de 125 euros prévu par l’article 680 du code général des impôts. De son côté, l’administration fiscale a estimé que cet acte devait donner lieu au droit d’enregistrement proportionnel de 5 % applicable aux cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière, droit prévu par l’article 726 (I, 2°) du même code. La question était donc de savoir si la cession de l’usufruit temporaire de parts sociale est ou non une cession de droits sociaux au sens de cet article.


La réponse à cette question repose sur l’article 578 du code civil qui définit l’usufruit comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». La chambre commerciale en déduit que la qualité d’associé n’appartient qu’au nu-propriétaire. Autrement dit, l’usufruitier de parts sociales n’a pas la qualité d’associé (dans le même sens : Cass. com., avis, 1er déc. 2021, n° 20-15.164 ; Cass. 3e civ., 16 févr. 2022, n° 20-15.164). La cession de l’usufruit de droits sociaux ne peut donc pas être qualifiée de cession de droits sociaux. Cet arrêt est important pour trois séries de raisons.


Tout d’abord, la cession de l’usufruit de droits sociaux ne donne pas lieu au droit d’enregistrement proportionnel applicable aux cessions de droits sociaux.


Ensuite, les dividendes prélevés sur le résultat de l’exercice reviennent à l’usufruitier (Cass. 1ère civ., 22 juin 2016, nos 15-19.471 et 15-19.516. – Les dividendes prélevés sur les réserves constituées par la société au nu-propriétaire. Les bénéfices mis en réserve sont attribués à celui-ci dans la mesure où ils constituent l’accroissement de l’actif social). Comment concilier cette solution avec le fait que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé et n’est pas titulaire de droits sociaux ? Cela remet en cause l’idée que l’usufruit est un démembrement de propriété. À la lecture de l’arrêt du 30 novembre 2022 de la chambre commerciale de la Cour de cassation, il s’agirait plutôt d’une sorte de servitude portant sur les biens ou les droits grevé d’usufruit. En droit français une servitude ne peut porter que sur des immeubles (code civil, article 637 : « une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». Au sens de cet article, le terme « héritage » signifie « immeuble »). En revanche, en droit suisse, l’usufruit est analysé en une servitude. Nous sommes donc peut être à l’aube d’un renouvellement de la qualification de l’usufruit.


Enfin, la question précédente est loin d’être purement théorique. En effet, elle en sous-tend une troisième relative à la valorisation de l’usufruit. Pour le calcul des droits d’enregistrement, les méthodes de valorisation de l’usufruit sont fixées par l’article 669 du code général des impôts. La valeur de l’usufruit viager dépend de l’âge de l’usufruitier au moment de la constitution de l’usufruit (CGI, art. 669, I). La valeur de l’usufruit temporaire est fixée à 23 % de la valeur de la pleine propriété pour chaque période de dix ans de la durée de l’usufruit, sans fraction et sans égard à l’âge de l’usufruitier (CGI, art. 669, II). Ces méthodes reposent sur le postulat que la pleine-propriété est démembrée entre le nu-propriétaire et l’usufruitier et, pour cette raison que la valeur de la pleine-propriété est égale à la somme de la valeur de la nue-propriété et de celle de l’usufruit. L’arrêt du 30 novembre 2022 de la chambre commerciale de la Cour de cassation met ce postulat à mal. Il doit conduire les services de Bercy et le législateur à s’emparer du sujet. Valoriser l’usufruit sur la base de sa valeur économique – c’est-à-dire en prenant en compte l’espérance de vie de l’usufruitier, la valeur des biens ou des droits grevés d’usufruit, l’espérance de vie et leur rendement – serait plus proche de la réalité.


Frédéric DOUET, professeur à l’Université Rouen-Normandie (@Fiscalitor)

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