Alors que la commission d'enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique vient de publier un rapport critique à l’égard des choix politiques des précédents exécutifs relatifs à la production d’électricité[1], on assiste à l’expansion rapide du contentieux relatif au développement des installations de production d’énergies renouvelables. C’est en la matière le déploiement des éoliennes qui aspire à lui l’essentiel de l’attention des juges.
Les affaires les plus courantes, sont celles portées devant le juge administratif contre les autorisations d’installation. Toutefois, la dynamique du contentieux laisse une place importante au juge judiciaire. Les hésitations des juges du fonds, relayées par les hautes cours des deux ordres avaient nécessité, comme en matière d’antennes relais, l’intervention du Tribunal des conflits en 2014[2]. Au regard de cette décision, au juge administratif revient le soin de se prononcer sur la légalité des autorisations délivrées au titre de la législation afférente, et au juge judiciaire celui de connaître des actions en responsabilité et en démolition si l’implantation est illégale. La solution, qui s’enracine dans une orientation ancienne du contentieux relatif aux installations classées[3], fait l’objet d’illustrations régulières, et de plus en plus courantes.
Des arrêts récents rendus par la Troisième chambre civile de la Cour de cassation illustrent le caractère bien affirmé de cette singularité de la compétence du juge judiciaire en la matière.
Le premier [4] a trait au rôle du juge judiciaire dans l’application de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme, siège de l’action en démolition face à une construction illégale. Le permis de construire d’un parc éolien avait été annulé par le juge administratif au constat d’une insuffisance de l’étude d’impact relative à la présence d’un couple d’aigles royaux aux alentours. La Cour de cassation a rappelé que toute méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique ayant conduit à l’annulation du permis de construire pouvait fonder une action en démolition. S’il était permis de douter que la seule insuffisance de l’étude d’impact puisse constituer un tel motif, la Cour accueille l’action en démolition, ouvrant ainsi plus généreusement la voie de celle-ci.
Le second [5] est relatif à une action en réparation, compétence du juge judiciaire dès lors qu’un trouble anormal ou qu’un préjudice réparable est provoqué par les éoliennes. Or, le danger généré par le mouvement des pales pour l’avifaune est connu, en particulier dans certaines zones[6]. Celui-ci fait l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics, qui imposent notamment aux exploitants d’effectuer un suivi des incidences de leurs parcs éoliens sur la faune volante, puis de les évaluer et prendre les mesures nécessaires[7]. Or un parc éolien de l’Hérault implanté dans une zone de protection spéciale (ZPS) au titre de la directive « Oiseaux » était à l’origine de la destruction de plusieurs spécimens de faucons crécerellettes, espèce protégée. Malgré des mesures d’effarouchement prescrites par le préfet, ces dommages se poursuivaient, si bien qu’une association de protection de l’environnement avait saisi le juge judiciaire d’une action en réparation de son préjudice moral. En bout de chaine, le juge devait alors trancher entre deux intérêts environnementaux : celui de lutte contre le réchauffement climatique, incarné ici par le déploiement des installations d’énergie renouvelables, et celui de protection de la nature. C’est le second qui l’emporte dans cette affaire. Étant contraint par le partage de compétence juridictionnelle évoqué à l’instant, le juge judiciaire ne peut ordonner des mesures dont l’effet serait contraire aux « prescriptions édictées par l’administration dans l’intérêt de la société et de la salubrité publique »[8].
Impossible donc pour lui d’exiger la cessation de l’activité en cause. Il peut toutefois réparer les conséquences préjudiciables de celle-ci, ce qu’en l’espèce il imposa par le biais de l’octroi de dommages et intérêts à l’association requérante.
Au regard des engagements internationaux de la France, conduisant à un fort développement des énergies renouvelables, ce contentieux n’est pas près de se tarir. La loi a fixé comme objectif[9], afin de respecter l’accord de Paris, de porter à 33% d’ici 2030 la part du renouvelable dans le mix énergétique français[10]. En 2022, celle-ci n’était encore que de 19,3%.
Grégoire Leray
Professeur de droit privé
Centre d’études et de recherches en droit des procédures
Université Côte d’Azur
[1] A. Armand, Rapport d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, n° 1028, Assemblée Nationale, 30 mars 2023. [2] TC, 13 oct. 2014, n° C3964, EURL Cornuel. [3] TC, 23 mai 1927, Crts Neveux et Kohler c/ Sté métallurgique de Knutange. [4] Cass. 3e Civ., 11 janvier 2023, 21-19.778. [5] Cass. 3e Civ., 30 novembre 2022, n°21-16.404 [6] Ligue de protection des oiseaux (LPO), Éoliennes et biodiversité Synthèse des connaissances sur les impacts et les moyens de les atténuer, sept. 2019, 122 p. (En ligne : https://eolien-biodiversite.com/IMG/pdf/lpo_oncfs_2019.pdf) [7] Protocole de suivi environnemental des parcs éoliens terrestres, rév. 2018 (En ligne : https://eolien-biodiversite.com/IMG/pdf/protocole_de_suivi_revision_2018.pdf) [8] TC, 13 oct. 2014, préc. [9] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. [10] L’objectif est affiné par des textes successifs, dont la loi du 10 mars 2023. Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
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