Par Ghislain Hermet,
Notaire associé et co-fondateur du groupe CLARELIS
Un important arrêt de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation (9 janvier 2019 n° 17-27.411) nous éclaire sur les conditions pour l’inscription du privilège de prêteur de denier dès lors que seul l’un des acquéreurs co-indivisaires est emprunteur.
On rappelle que, en matière d’hypothèque conventionnelle, l’article 2414 subordonne la pleine efficacité de l’inscription prise du seul chef de l’indivisaire à l’attribution du bien grevé à ce même indivisaire à l’issue des opérations de partage. Faute d’une telle attribution, et à défaut pour le prêteur d’avoir, lors de la constitution de l’hypothèque, recueilli le consentement des autres indivisaires, le créancier, relégué au rang de simple créancier chirographaire, se retrouve dépourvu de tout droit de préférence au titre de la distribution du prix de l’immeuble.
Sur la même problématique transposée au privilège de prêteur de deniers, il aurait été tentant de retenir un raisonnement par analogie. C’était justement la position de la Banque, dont le moyen précisait « qu’en vertu de l’effet déclaratif du partage, l’indivisaire à qui le bien est attribué dans l’acte de partage est réputé en être seul propriétaire depuis la date de son acquisition ; qu’en conséquence, le privilège du prêteur de deniers inscrit du chef de l’autre indivisaire est réputé rétroactivement n’avoir jamais existé ».
Telle n’est pas la position de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation, qui consacre l’autonomie du privilège de denier par rapport au consentement du débiteur. Elle indique ainsi que « même dans l’hypothèse où un prêt est souscrit par l’un seulement des acquéreurs d’un bien immobilier, pour financer sa part, l’assiette du privilège de prêteur de deniers est constituée par la totalité de l’immeuble ». Elle ajoute également que la naissance de la sûreté, dont on rappelle qu’elle résulte de l’effet de la loi et non du consentement des parties, à la différence de l’hypothèque conventionnelle, est antérieure à la naissance de l’indivision.
Cette solution présente à nos yeux une cohérence, en ce qu’elle illustre la différence entre les privilèges spéciaux immobiliers né par effet de la loi, et l’hypothèque conventionnelle nécessairement subordonnée à la constatation du consentement des parties concernées.
A titre subsidiaire, il convient également de souligner que la responsabilité du notaire, garant de la bonne publication de l’inscription et donc de son opposabilité aux tiers, peut être recherchée s’il ne procède pas à l’inscription du chef des deux propriétaires du bien, déniant en conséquence la possibilité pour le créancier de provoquer la vente forcée en l’absence de tout partage préalable.
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