En effet, le droit de l'indivision l'emporte sur le droit des procédures collectives et confère au créancier de l'indivision des prérogatives particulières et celles-ci sont fondées sur l'alinéa 1 de l'article 815-17 du code civil, lequel dispose que :
« Les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l'actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis ».
Cet article envisage deux catégories de créanciers autorisées à saisir les biens indivis sans même avoir à procéder à leur partage et bénéficiant d'un droit de paiement par prélèvement sur l'actif avant le partage.
Les créanciers dits de l'indivision, sont les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eu indivision.
L'avantage conféré à ces créanciers est important puisqu'il leur permet, en pratique, d'être payés avant les créanciers personnels de l'un des coïndivisaires, les dispositions de l'article 815-17 du code civil, organisant une dérogation aux règles gouvernant le droit de gage général et la distribution du prix de vente. Au cours des vingt dernières années, la cour de cassation a eu l'occasion de définir ce les conditions pour prétendre à la qualité de créanciers de l'indivision.
Il est aujourd'hui incontestable que des créanciers titulaires d'une sûreté réelle sur un bien indivis consenti par tous les coïndivisaires (Civ. 1, 20 novembre 1990, n° 89-13876, Bull. Civ. I, n° 259), sont des créanciers de l'indivision au sens de l'article 815-17, alinéa 1 du code civil.
Ainsi, dès lors qu'une personne est créancière de l'indivision et bénéficie d'une inscription d'hypothèque consentie par tous les coindivisaires, préalablement à la procédure collective, cette dernière peut saisir le bien indivis et se faire payer avant tout partage (Com, 18 février 2003, pourvoi n° 00-11.008, D. 2003, somm. p.1620 ; Procédures 2003, Comm. 149).
Cette solution subsiste même lorsque le liquidateur de l'un des coïndivisaires s'est fait autoriser par le juge commissaire à vendre le bien (Com. 20 septembre 2005, deux arrêts n° 03-20998 et 04-10678 D. 2006, Somm. p. 82).
Déjà, la chambre commerciale avait-elle dispensé le liquidateur judiciaire de solliciter une autorisation préalable du juge-commissaire pour mettre en œuvre la licitation d’un bien indivis (Com., 3 octobre 2006, n° 05-16463 et Com., 12 novembre 2008, n° 07-17078) :
« Mais attendu qu'après avoir relevé que l'immeuble en cause dépendait d'une indivision qui préexistait à l'ouverture de la procédure collective de l'époux, la cour d'appel a retenu à bon droit que le liquidateur, représentant les intérêts des créanciers personnels de cet indivisaire, était fondé à solliciter la licitation de l'immeuble indivis en vertu de l'article 815-17, alinéa 3, du code civil sans avoir à demander l'autorisation préalable du juge-commissaire ».
Cette évolution de la position de la Cour de Cassation est ancienne et depuis un arrêt du 19 décembre 2000 (Com. 19 décembre 2000, n° 97-17728, Bull. Civ. IV, n° 202 ; D. 2001 p. 379), la Cour de Cassation ne subordonne plus le droit de poursuite du créancier de l'indivision à une autorisation préalable du juge commissaire.
La Cour de cassation l'a d'ailleurs confirmé dans un arrêt rendu en 2012 (Com., 7 février 2012, n° 1112.787 et 11.13213) en jugeant une fois de plus :
« ...la banque ne pouvant être privée du droit de poursuite qu'elle tient de ce texte et bénéficiant, antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de M Philippe X.., d'un jugement ordonnant la licitation des biens indivis, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'était pas nécessaire qu'elle saisisse le juge-commissaire d'une requête afin d'être autorisée à continuer ses poursuites sur des biens dont, après l'adoption du plan de continuation, le débiteur avait retrouvé la libre disposition à son égard ».
Le principe retenu par la Cour de Cassation est le suivant : dès lors qu'une hypothèque a été consentie par tous les coïndivisaires sur un bien dont le caractère indivis préexistait à l'ouverture de la procédure collective de l'un deux, le créancier hypothécaire, fût — il créancier de l'un seulement des coindivisaires (par extinction d'une créance non déclarée par exemple), peut poursuivre la saisie et la vente de ce bien avant le partage de l'indivision en application des dispositions de l'article 2125 du code civil (devenu 2414), l'interdiction des voies d'exécution à l'encontre de la personne en procédure collective étant sans effet à l'égard du coïndivisaire in bonis.
L'effet exceptionnel attribué, en droit commun, à l'hypothèque consentie par tous les indivisaires sur un bien indivis par le jeu de l'ancien article 2125 du Code Civil (devenu l'article 2414 du même Code), à savoir la possibilité de saisir et de vendre l'immeuble avant le partage (Civ.1, 20 novembre 1990, n° 89-13876, Bull. Civ. I, n° 259), vaut donc, quelle que soit la situation personnelle des indivisaires, et même si l'un deux est en procédure collective et que le créancier hypothécaire n'y a pas déclaré sa créance, pourvu que le caractère indivis du bien préexiste au jugement d'ouverture (Civ. 1, 14 juin 2000, n° 98-10577 Bull. Civ. I, n° 182 ; Civ.1, 28 juin 2005, n° 02-20452, Bull. Civ. I, n° 283).
La Cour de Cassation a même affirmé que l'extinction de la créance non déclarée au passif de l'indivisaire soumis à la procédure collective était sans incidence sur le droit de poursuivre les biens indivis que les créanciers de l'indivision tiennent de l'article 815-17 du code civil (Civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-17778, Bull. Civ. I, n° 494 ; D. 2006, p. 302).
Les attendus de la Cour de cassation sont sans ambiguïtés :
« Vu les articles 815-17, alinéa 1er, du Code civil et 53 de la loi du 25 janvier 1985, devenu L. 621-46 du Code de commerce ;
Attendu que les créanciers de l'indivision préexistante à l'ouverture de la procédure collective de l'un des indivisaires, qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision, conservent leur droit de poursuivre la saisie de ces biens, malgré l'ouverture de cette procédure ; que, dès lors, l'extinction de la créance, faute de déclaration au passif de l'indivisaire soumis à la procédure collective, est sans incidence sur le droit de poursuivre les biens indivis que le créancier de l'indivision tient de l'article 815-17, alinéa 1er, du Code civil ».
La chambre commerciale de la Cour de la Cassation l'a d'ailleurs rappelé par la suite dans l'arrêt précité du 7 février 2012 (Com., 7 février 2012, 1112.787 et 11.13213) :
« Mais attendu que, par application des dispositions de l'article 815-17, alinéa 1er, du code civil, les créanciers de l'indivision préexistante à l'ouverture de la procédure collective de l'un des indivisaires, qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision, conservent leur droit de poursuivre la licitation de ces biens, malgré l'ouverture de cette procédure ; que la cour d'appel en a exactement déduit que l'extinction de la créance, faute de déclaration au passif de l'indivisaire soumis à la procédure collective, est sans incidence sur le droit de la banque, créancière de l'indivision, de poursuivre la réalisation des biens indivis ; que le moyen n'est pas fondé »
La deuxième chambre civile a adopté la même position (Civ.2, 22 février 2012, n° 11-13145) :
« Mais attendu que l'arrêt retient exactement que la banque, dont la créance est née antérieurement à la dissolution de la communauté, peut poursuivre la saisie et la vente des biens dépendant de l'indivision post-communautaire et que l'extinction de sa créance à l'égard d'un indivisaire est sans incidence sur le droit de poursuite qu'elle tient de l'article 815-17, alinéa 1er, du code civil »
Le corollaire de cette position réside dans la possibilité d'obtenir un paiement intégral avant partage du prix de vente.
Car, une fois admis que le créancier de l'indivision conserve son droit de poursuite et peut saisir le bien indivis sur lequel le débiteur en procédure collective a des droits, il faut en tirer la conséquence et lui reconnaître le droit de se payer intégralement sur le prix (voir JP Sénéchal, JCP éd. N 2003, n° 1597 ; voir plus également : Jean-Pierre Garçon, Le créancier de l'indivision peut-il subir l'attraction ou les effets de la procédure collective ? JCP notarial, n° 13, du 30 mars 2012, 1170).
La Cour de Cassation s'est prononcée en ce sens, pour la première fois, dans une affaire où un prêt consenti à une femme séparée de biens avait été garanti par le cautionnement solidaire du mari et une hypothèque sur un immeuble indivis entre eux (Civ. 1, 14 juin 2000, op. cit.) :
« Qu'en statuant ainsi, alors que l'engagement de M X.. étant garanti par une hypothèque consentie par l'ensemble des indivisaires, la société Abbey pouvait, du chef exclusif de la dette de la caution, se payer intégralement sur le prix de vente du bien indivis, sans que le redressement judiciaire du débiteur principal puisse faire obstacle à l'exercice de ce droit, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Dans une affaire dans laquelle la cour d’appel avait jugé que les fonds provenant de la vente sur saisie-immobilière, poursuivie par une banque, d’un bien indivis entre ex-époux dont l’un avait été placé ultérieurement en liquidation judiciaire, serait versé au liquidateur, la cour de cassation a retenu :
« Qu'en statuant ainsi, alors que la banque, créancière de l'indivision qui préexistait à l'ouverture de la procédure collective de l'ex-épouse, pouvait poursuivre la saisie et la vente de l'immeuble indivis pour être payée, avant le partage, par prélèvement sur l'actif, la cour d'appel a violé le texte susvisé » (Com., 16 mai 2013, n° 12-16216)
La Cour de Cassation a également jugé que la suspension des poursuites individuelles à l'égard du débiteur en procédure collective, prévu par l'article L 621-40 du Code du Commerce, laissait intacte les recours que ses créanciers pouvaient exercer à l'encontre de la caution solidaire du débiteur et qu'il ressortait de l'article 2125 du Code Civil (devenu 2414), que le créancier bénéficiant d'une hypothèque consentie par l'ensemble des indivisaires pouvait poursuivre la vente sur saisie du bien indivis et être intégralement payé sur le prix avant tout partage.
Cette prééminence du créancier de l’indivision a encore été confirmée récemment dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la cour de cassation, après avis (avis du 7 février 2018, n° 17-70038) de la chambre commerciale (Civ.1, 24 mai 2018, n° 16-26378 et 17-11424) :
« Mais attendu que les dispositions des articles 154 et 161 de la loi n° 85-88 du 25 janvier 1985, alors en vigueur, n'étant pas applicables au créancier hypothécaire de l’indivision, préexistante à l'ouverture de la procédure collective d'un indivisaire, ce créancier, qui entend poursuivre la saisie immobilière du bien indivis en vertu du droit qu'il tient de l'article 815-17, alinéa 1er, du code civil, n'est pas tenu de saisir le juge-commissaire ».
Même si certains esprits chagrins pensent que cette position est illogique et mériterait d’être repensée, elle est aujourd’hui sans ambiguïté et efficace.
Frédéric KIEFFER
Avocat au Barreau de Grasse
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