Apparu en 2001 comme la première expression légale du droit de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), l’obligation de déclaration d’informations non financières imposée à certaines entreprises a vu ses contours évoluer, et son champ d’application s’étendre depuis lors. Il faut dire que le levier de la divulgation d’informations est déterminant pour imposer en droit des sociétés la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux[1]. Certes, il ne demeure en droit français et européen qu’une obligation de dire à la charge des entreprises concernées, mais il constitue un enjeu, notamment réputationnel, aux répercussions multiples.
Le droit français a fait figure de pionnier en la matière[2], en inscrivant à l’article L. 225-102-1 du Code de commerce[3] l’obligation de rendre compte de considérations sociales et environnementales dans le rapport annuel de gestion. Cantonné initialement aux sociétés côtés, le mécanisme a été progressivement étendu[4]. Face à l’essor d’outils équivalents dans d’autres pays d’Europe, et au trouble généré par des conceptions hétérogènes du sujet, l’Union européenne ambitionne de mettre en place une standardisation des informations dues. D’une part cette ambition doit permettre la comparaison entre les activités des sociétés des États membres. D’autre part, la standardisation apparaît comme une réponse au risque généré par des droits nationaux d’inégales valeurs en la matière, source potentielle de forum shopping. Initié par la directive NFRD[5], cet effort d’extension à l’ensemble des États membres de l’obligation de reporting extra-financier est actualisé par la directive CSRD[6], qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2024[7]. Le texte s’inscrit dans l’élan très ambitieux de déclinaison des objectifs du législateur européen formulés dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe[8].
Outre que le texte comporte un glissement lexical révélateur de la volonté d’accélération portée par l’Union en matière de régulation sociale et environnementale de certaines entreprises, il induit plusieurs modifications essentielles.
Au titre des modifications lexicales en premier lieu, la directive CSRD substitue à la notion précédente portée par la directive NFRD d’« informations non financières » celle de « durabilité ». Le vocable, également au cœur de la mutation récente du droit financier et d’autres textes européens[9], est plus englobant. Non seulement il implique de la part des sociétés concernées de publier des informations sur les aspects sociaux et environnementaux de leurs activités, mais encore de présenter la manière dont les enjeux de gouvernance et de gestion des relations commerciales permettent d’assurer l’objectif de durabilité[10].
Au titre des modifications substantielles, en second lieu, la directive CSRD initie une nouvelle trajectoire résolument curative. Face aux insuffisances de la directive NFRD, une consultation avait été lancée en 2020, permettant de recevoir de la part des acteurs concernés et des autorités de régulation de précieux enseignements et retours d’expériences[11].
Le texte étend tout d’abord le champ d’application de l’information en matière de durabilité par rapport à la directive NFRD. Les entités concernées sont les sociétés cotées, et les entreprises non cotées remplissant deux des trois critères suivants : un bilan de plus de 20 millions d’euros, un chiffre d’affaires de plus de 40 millions d’euros, et un effectif d’au moins 250 salariés. Au regard de ces critères, le nombre d’entreprises assujetties quadruple par rapport à celles concernées par la précédente directive : environ 50 000 entreprises en Europe, dont 8 000 en France seront soumises au texte[12]. Par ailleurs, conformément à l’esprit de la proposition de directive relative au devoir de vigilance des sociétés mères[13], la directive CSRD a vocation à s’appliquer également aux grandes entreprises qui exercent leurs activités sur le territoire de l’Union, mais dont le siège social est installé dans un État tiers.
La directive permettra ensuite une meilleure accessibilité et lisibilité du rapport de durabilité par le biais d’un effort de standardisation. En effet, l’information en matière de durabilité devra nécessairement figurer dans une section dédiée du rapport de gestion des sociétés assujetties. En outre, la directive prévoit la création par des actes délégués de normes spécifiques, les ESRS (European sustainability reporting standards), normes harmonisées qui permettront à toutes les sociétés soumises au texte d’utiliser un langage commun. Une véritable comparaison entre les rapports de durabilité sera alors possible. On trouve là, et le texte de la directive y fait expressément référence, une démarche qui rejoint celle imposées au droit financier par le règlement « taxonomie »[14]. La démarche doit permettre aux parties prenantes, investisseurs, mais aussi consommateurs et ONG, d’être en possessions d’informations comparables. Dans la divulgation de ces normes standardisées, et c’est là une autre nouveauté essentielle, la directive impose le concept de double matérialité. Non seulement les entreprises assujetties devront divulguer les informations relatives aux risques générés par leurs activités, mais également celles relatives aux risques et opportunités liés à la durabilité qui peuvent entraîner pour elles des conséquences importantes.
Par ailleurs, le texte impose la publication d’informations plus détaillées que la législation actuelle. La directive précise plusieurs thèmes impératifs par facteur de durabilité, et met en place un mécanisme de suivi des politiques de durabilité mises en œuvre. D’un point de vue opérationnel, l’application du texte conduira à ce qu’un ensemble de thématiques soient systématiquement présentes dans les informations publiées, telles que la protection de l’environnement, et en particulier le sujet climatique, le respect des droits humains, la gestion de le chaîne d’approvisionnement, les mesures de lutte contre la corruption ou la diversité des membres des conseils d’administration.
Particulièrement déterminant est enfin le volet du texte relatif à la fiabilité des données publiées. Le rapport devra faire l’objet d’une certification par un organisme tiers indépendant. Le législateur français devrait confier cette mission de régulation au Haut conseil du commissariat aux compte[15].
La directive CSRD dont la mise en œuvre sera nécessairement délicate[16], permet au droit de la RSE de franchir un nouveau pallier, bien qu’il ne s’agisse que d’une étape intermédiaire dans la construction d’un droit économique de l’environnement encore en chantier[17]. L’évolution rapide du cadre normatif afférent, dont la directive CSRD est une illustration criante, dans la mesure où elle prend la suite d’un mécanisme vieux d’à peine sept ans, est source d’un contentieux qui s’affirme peu à peu. Nul doute en conséquence que cette évolution mérite une attention toute particulière.
Grégoire Leray
Professeur de droit privé
Centre d’études et de recherches en droit des procédures
Université Côte d’Azur
[1] A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise. Contribution à l’analyse juridique d’une régulation, thèse, G. J. Martin (dir.), Nice, 2014. [2] Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, JO, 16 mai 2001 ; C. Malecki, « Informations sociales et environnementales : de nouvelles responsabilités pour les sociétés cotées ? », D., 2003, p. 818. [3] Pour le détail des items relatifs à l’environnement qui doivent figurer dans la déclaration, v. art. 148-3, décret n° 2002-221 du 20 février 2002 ; JO, 21 février 2002. [4] Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. [5] Dir. (UE) 2014/95/UE ; B. Lecourt, Rev. Sociétés 2015.134. [6] Dir. (UE) 2022/2464, 14 déc. 2022, dite Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) ou directive “RSE 2”. [7] L’AMF a publié une synthèse de l’entrée en vigueur échelonnée de la directive à laquelle nous renvoyons : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/la-nouvelle-directive-csrd-sur-le-reporting-de-durabilite-des-societes [8] COM(2019) 640 final, 11 déc. 2019. [9] V. not le texte du règlement « Taxonomie » : Règlement (UE) 2020/852 du parlement et du conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables. V. dans le même sens la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité 2022/0051(COD) dans sa version du 30 novembre 2022. [10] B. Lecourt, « La ‘directive RSE 2’ (‘directive CSRD’) : le nouveau visage de l’information en matière environnementale et sociale », Rev. Sociétés 2022, p. 639.
B. Parance, « La directive CSRD , nouveau modèle du reporting extra-financier au service de la durabilité des entreprises », JCP E n° 05, févr. 2023, 1033 [11] Commission européenne, Summary Report of the Public Consultation on the Review of the Non-Financial Reporting Directive, Ares(2020)3997889, juil. 2020. [12] B. François, « RSE : un nouveau pallier a été franchi », Rev. Société 2023, p. 62. [13] 2022/0051(COD), préc. [14] Règl. (UE) 2020/852, 18 juin 2020. [15] Ibid. [16] Le gouvernement a mis en place un site d’accompagnement pour les entités concernées : https://www.impact.gouv.fr/ [17] V. en la matière le dossier « Le renforcement normatif de la RSE », RLDA, février 2023 (à paraître).
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