Alors que le cadre européen de la finance durable est encore en construction, certaines carences se font sentir. En réaction, l’AMF a proposé par la voix de sa Présidente[1] le 9 février 2023 à la commissaire européenne aux services financiers d’ajouter des exigences minimales environnementales auxquelles les produits financiers devraient répondre afin d’intégrer les catégories des article 8 ou 9 du règlement « Disclosure »[2]. Il s’agit des deux types de produits financiers présentant des caractéristiques extra-financières. Les gestionnaires d’actifs peuvent classer leurs fonds de placement dans la catégorie « article 8 » dès lors qu’ils font la promotion de caractéristiques environnementales ou sociales, ou dans celle de l’« article 9 » s’ils poursuivent un objectif d’investissement durable.
À l’origine de l’intense mouvement de règlementation initié par la Commission, se trouve une volonté de répondre aux nombreuses critiques adressées à la finance durable. En 2016, l’Union européenne avait confié une mission de réflexion à ce sujet à un groupe à haut niveau sur la finance durable composé de membres de la société civile, du secteur financier et d’universitaires. Dans son rapport final, présenté en janvier 2018, le groupe a identifié huit actions prioritaires dont la mise en œuvre est essentielle à la construction d’une finance durable rigoureuse[3]. D’après ce rapport, la finance durable doit satisfaire à deux impératifs ; d’abord encourager la contribution du système financier à la croissance durable en finançant les besoins de long terme ; ensuite améliorer la stabilité financière en intégrant les facteurs ESG à la prise de décision en matière d’investissement.
À la lumière de ces conclusions, la Commission a présenté en mars 2018 un plan d’action[4]. Dans cette stratégie pour la finance durable, accompagnée d’une feuille de route, la Commission présente les travaux à mener. Le premier d’entre eux est l’établissement d’un langage commun pour la finance durable afin de permettre une véritable comparaison entre les activités sous-jacentes aux titres financiers. C’est à ce résultat qu’aspirent à parvenir les premiers règlements en la matière. Ce système de classification unifié, la « Taxinomie », établit une liste d’activités et de critères permettant de qualifier une entreprise et ses activités de durable ou non. À la lumière de cette classification, les investisseurs désireux de promouvoir des activités durables seront à même d’identifier les entreprises vertueuses.
Le fil directeur des réformes en cours annoncées par la stratégie de l’Union européenne est en effet d’améliorer la transparence des activités des acteurs du marché. Celle-ci est jugée absolument essentielle au bon fonctionnement du système financier, en permettant aux différents acteurs d’apprécier si les entreprises créent de la valeur à long terme et si elles intègrent les risques liés à la durabilité.
Or si aujourd’hui le règlement « Disclosure » permet aux gestionnaires d’actifs de classer leurs fonds dans les catégories énoncées en ouverture, l’AMF remarque une faiblesse inhérente au mécanisme. Certes, le texte impose des obligations de divulgation d’informations relatives aux démarches mises en place par les gérants des fonds « article 8 » et « article 9 », mais le règlement manque de précision, et accorde une place trop importante à l’interprétation.
Non seulement le règlement « Disclosure » n’impose pour ces fonds aucune exigence miniale en matière environnementale, mais il ne définit pas non plus la notion d’investissement responsable. En conséquence, « la nature ou l’ampleur de l’engagement de durabilité du gérant » ne peuvent être véribalement estimés par les investisseurs. L’AMF invite le législateur européen à imposer qu’une « portion minimale des actifs en portefeuille pour les fonds classés ‘ article 9 ‘ (soit) constituée d’investissements alignés avec la Taxonomie », c’est-à-dire qu’ils portent en eux une durabilité tangible.
En cohérence avec cette recommandation, l’AMF propose que les fonds « article 9 » soient expurgés de tout investissements dans les activités du secteur des énergies fossiles non alignés avec la taxonomie européenne. Ces investissements ne seraient que tolérés dans les fonds « article 8 », à la condition d’être en mesure de justifier une démarche de transition. Il en va effectivement d’une question de crédibilité du nouveau système mis en place par le droit européen.
Une autre actualité récente a placé la finance durable sous les feux des critiques, et atteste que la matière est encore en construction. La valeur de la labélisation, autre pilier de la finance durable dont l’importance est, au même titre que la Taxonomie, mis en exergue par la stratégie européenne, se trouve questionnée. En témoigne une étude d’Epsor[5], qui souligne qu’environ 80% des fonds labellisés ISR « possèdent au moins une entreprise en portefeuille en lien avec le secteur des énergies fossiles ». Il y a là un autre chantier, tout à fait complémentaire avec celui ouvert par la proposition de l’AMF, qu’il s’agira d’observer avec attention.
Grégoire Leray
Professeur de droit privé
Centre d’études et de recherches en droit des procédures
Université Côte d’Azur
[1] https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/communiques/communiques-de-lamf/reglement-sur-la-publication-dinformations-en-matiere-de-durabilite-dans-les-services-financiers. [2] Règlement (UE) 2019/2088, 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers. [3] High-Level Expert Group on Sustainable Finance, Financing a sustainable European economy, Final report, jan. 2018, spec. p. 15 à 44. [4] COM(2018) 97 final, 8 mars 2018, Plan d’action : financer la croissance durable. [5] https://www.epsor.fr/telechargement/etude-epargne-responsable?utm_source=site_vitrine&utm_medium=livre_blanc&utm_campaign=etude_fonds_responsables#telecharger
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