Depuis le 10 février dernier et le grave accident mettant notamment en cause l’humoriste Pierre PALMADE, les sujets ayant trait aux accidents de la route, à la conduite sous l’emprise de stupéfiants et plus globalement au permis de conduire défrayent la chronique chacun allant de son opinion sur ce qu’il doit advenir judiciairement de l’humoriste.
Le tribunal médiatique n’aidant pas à la clarté, la compréhension des différentes problématiques juridiques mises en lumière par la désormais « Affaire PALMADE » s’avère peu aisée, et pourtant le droit davantage que l’émotion doit nous guider dans cette compréhension d’autant que cette situation peut concerner bon nombre d’entre nous et même ceux qui réclament l’échafaud pour l’humoriste !
La complexité tient principalement du fait que certains comportements, comme le fait de conduire après avoir consommé des produits stupéfiants, constituent à eux seuls une infraction mais deviennent une circonstance aggravante en cas d’accident de la route.
La conduite après l’usage de produits stupéfiants
Le Code de la route (article L.235-1) érige en infraction le fait de conduire un véhicule alors qu’une analyse sanguine ou salivaire révèle que le conducteur a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants. L’infraction est consommée dès lors que la prise de stupéfiants est avérée, c’est-à-dire que contrairement à l’alcool, aucun seuil de tolérance n’est fixé.
Ce comportement est, à lui seul, passible d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende. Diverses peines complémentaires sont également susceptibles d’être prononcées à l’endroit du conducteur, parmi elles : la suspension ou l’annulation du permis, des travaux d’intérêt général, l’obligation de faire un stage de sensibilisation à la sécurité routière ou aux dangers des stupéfiants ou encore la confiscation du véhicule…
L’usage de stupéfiants ne peut être révélé que par une analyse sanguine ou salivaire du conducteur, réalisée par les services de police ou de gendarmerie. Concrètement, les services de police ou de gendarmerie vont procéder à un prélèvement salivaire sur le conducteur
Les services de police ou de gendarmerie ont l’obligation, en vertu de l’article R.235-6 du Code de la route, de demander au conducteur s'il souhaite se réserver la possibilité de demander ce que l’on appelle couramment la « contre-expertise ».
Cette contre-expertise n’apparaît pas comme une faveur pour les conducteurs mais véritablement comme un rempart, protégeant ainsi les conducteurs contre la faible fiabilité des tests salivaires notamment. De nombreux consommateurs de CBD se retrouvent notamment positifs lors de contrôles routiers alors même que la vente de ce dernier est désormais légale.
En effet, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté interministériel du 30 décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3 %. Le Conseil a jugé dans ce même arrêt, à propos du CBD : « il ne présente pas de propriétés psychotropes et il ne comporte pas les mêmes effets indésirables que le delta-9-tétrahydrocannabinol, identifié comme le principal composant psychoactif du cannabis susceptible notamment de faire naître un effet de dépendance ».
En définitive, ce sont parfois des consommateurs de CBD qui, sur la base du seul test salivaire dont on peut remettre en cause la fiabilité, peuvent être poursuivis du chef de conduite après usage de stupéfiants et ce alors même que le Conseil d’Etat devait juger que le CBD ne présentait aucune propriété psychotrope.
C’est la raison pour laquelle je conseille à mes clients de se réserver cette possibilité et de procéder à cette contre-expertise qui est de droit, malgré une pratique trop récurrente des services de police et de gendarmerie qui arrivent par des moyens peu conventionnels à convaincre les conducteurs de ne pas exercer ce droit.
Cette absence de contre-expertise prive ainsi les justiciables de nombreux recours, de la possibilité de soulever des moyens de nullités pouvant aboutir à faire annuler la procédure diligentée et évidemment de la possibilité de contester leur positivité sur la base du prélèvement salivaire.
Le législateur a également érigé en infraction, punie d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende également, le fait de refuser de se soumettre aux opérations de dépistage. En d’autres termes, lorsque le conducteur refuse le dépistage, il encourt les mêmes peines que s’il avait conduit après avoir fait usage de stupéfiants, il y a en quelque sorte une présomption de consommation.
Au-delà des sanctions pénales, il faut préciser ici que peu importe le type de stupéfiants consommés, en cas de test positif ou de refus de se soumettre, la plupart des compagnies d’assurance sanctionnent rigoureusement leurs assurés (augmentation du coefficient malus, majoration de la cotisation, exclusions de garantie, résiliation du contrat).
Quelles infractions en cas d’accident de la circulation ?
Un accident de la circulation est, dans la grande majorité des cas, un accident involontaire provoquant des dommages matériels ou corporels. C’est d’ailleurs de la nature et l’intensité du dommage que varie la qualification pénale et donc la peine encourue. En tout état de cause, en langage juridique on ne parle plus d’accident mais d’atteinte involontaire.
Dès lors, l’atteinte étant involontaire, le conducteur n’encourt pas les mêmes peines que s’il avait volontairement blessé ou tué.
En droit pénal, le principe veut que les infractions les plus graves, c’est-à-dire les crimes et les délits, soient commises intentionnellement, l’article 121-3 du Code pénal dispose à ce titre : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
Cependant, ce même article prévoit expressément les exceptions, et il est effectivement possible de se rendre coupable d’un délit, et seulement d’un délit, sans en avoir l’intention. C’est le cas lorsqu’une faute d’imprudence ou de négligence est commise, lorsqu’il est fait état d’un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, ou encore lorsque des diligences ne sont pas accomplies alors qu’elles auraient dû l’être en raison de la fonction ou des missions de la personne.
L’atteinte involontaire, découlant de l’accident de la circulation, ne constitue une infraction pénale que lorsqu’il en résulte une atteinte à la vie ou à l’intégrité des personnes.
On parle ainsi de violences involontaires ou d’homicide involontaire, les peines variant selon la gravité de l’atteinte.
- Une atteinte à l’intégrité inférieure ou égale à 3 mois
Lorsqu’un accident de la route cause une atteinte entraînant une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 3 mois, le conducteur encourt une peine maximale de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
En revanche, lorsque l’accident est survenu alors même que le conducteur était sous l’emprise de stupéfiants, la peine est aggravée. Pour autant cette prise de stupéfiants ne transforme pas les violences involontaires en violences volontaires : ce n’est pas parce qu’un conducteur a consommé des produits stupéfiants qu’il avait en conséquence l’intention de causer un accident.
C’est la raison pour laquelle, cette consommation constitue une circonstance aggravante portant la peine initiale de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende.
Lorsqu’une autre circonstance aggravante vient s’ajouter, par exemple le défaut de permis de conduire ou le grand excès de vitesse, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros.
- Une atteinte à l’intégrité supérieure à 3 mois
Ce cas de figure est quasiment le même que celui décrit ci-dessus, seule la gravité de l’atteinte diffère. Dans ce cas, les seules violences involontaires font encourir au conducteur une peine initiale de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Lorsque le conducteur avait fait usage de produits stupéfiant, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende et à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros lorsque apparaissent plusieurs circonstances aggravantes.
- Le cas de l’homicide involontaire
Avant toute chose, il convient de faire un point sur la notion même d’homicide que l’on peut définir comme « un acte qui entraîne la mort d’autrui ». Si la notion de mort ne soulève pas de grandes difficultés, celle d’autrui est plus technique et l’Affaire PALMADE donne l’occasion d’apporter les précisions idoines.
A défaut de définition légale du terme « autrui », les juges de la cour de cassation ont estimé que pour mourir il fallait au préalable être « né vivant », que par conséquent la mort de l’enfant à naître n’entre pas dans les prévisions de l’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire (Cour de cassation - Chambre criminelle 30 juin 1999 / n° 97-82.351), il s’agit là d’une application de la règle de l’interprétation stricte de la loi pénale.
On considère ainsi que, dans le ventre de sa mère, l’enfant n’est pas encore né vivant et viable, il ne dispose ainsi pas de la personnalité juridique.
La Cour européenne des droits de l’Homme avait été saisie à la suite de cet arrêt de la Cour de cassation, mais la Cour européenne a jugé le droit positif français conforme et n’a pas condamné la France pour son manque de protection de l’enfant à naître tel que le sollicitaient les requérants. La Cour européenne a jugé que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d'appréciation des États (Cour européenne des droits de l'homme, grande chambre, Vo contre France – 8 juillet 2004, n° 53924/00).
Par conséquent, l’embryon ou le fœtus ne sont aujourd’hui pas considérés comme des êtres humains, dès lors qu’ils n’ont pas encore connu la vie extra-utérine et n’ont pas respiré, ils ne sont pas considérés comme vivants.
Ainsi, leur « mort » durant la grossesse n’est pas considérée comme un homicide. Cette solution ne saurait connaître aucun revirement dans une société où l’on est sur le point d’inscrire le droit à l’avortement dans la constitution. Créer, pour condamner Pierre PALMADE, une notion d’homicide de fœtus permettrait à d’autres de solliciter la condamnation pénale du médecin qui pratique l’avortement.
Le rôle des experts est donc primordial en la matière afin de déterminer si le fœtus est, à un moment donné et même de manière très temporaire, né vivant et viable, avant de trouver la mort. C’est à ce moment-là que le rôle de tout média devrait être celui de la raison et de l’apaisement, le temps judiciaire étant nécessairement long, les conclusions hâtives telles que connues ces dernières semaines en conséquence à l’affaire PALMADE n’ont pas leur place. Pis encore, elles mettent en péril l’équilibre du système juridique et sociétal qui est le nôtre ainsi que des valeurs qu’il porte.
Le délit d’homicide involontaire en droit pénal est puni d’une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, ce qui est bien moindre que la peine encourue pour un homicide volontaire, puisque l’élément intentionnel – c’est-à-dire l’intention de donner la mort – fait défaut.
En revanche, le fait de causer un homicide volontaire à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur est puni, en vertu de l’article 221-6-1 du Code pénal, d’une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
La consommation de produits stupéfiants constitue une circonstance aggravante du délit d’homicide involontaire, portant ainsi la peine à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende.
Lorsque plusieurs circonstances aggravantes sont relevées, la peine s’élève alors à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende.
Ces quelques développements visent à éclairer, et sans doute apporter un peu de raison, dans la cohue qui a suivi l’accident, que ce soit la cohue médiatique ou celle, plus terrible encore, qui se développe à tout bout de champ sur les réseaux sociaux.
Nous nous emparons, nous aussi, de cette actualité avec un regard critique mais également pour déplorer une forme de justice spectacle. Cette affaire constitue en réalité le quotidien de nombreux justiciables qui ne voient pas la même justice se mettre en œuvre, du seul fait qu’ils ne sont pas aussi célèbres que l’humoriste.
Ces nombreux justiciables vivent très légitimement un sentiment d’injustice et ont le sentiment d’une justice à deux vitesses, comme s’ils étaient des sous-justiciables. J’ai longtemps assisté une mère de famille dont le fils a perdu la vie en juin 2018 à cause d’un chauffard conduisant à contre-sens. Le dossier qui certes n’a intéressé aucun média, a mis plus de 2 ans pour être renvoyé devant une juridiction de jugement et, malgré les multiples relances, le dossier n’a été fixé pour être plaider en audience publique plus quatre ans après la date des faits.
Et comme chaque affaire médiatique emporte avec elle son lot de nouvelles mesures et de lois émotionnelles, épidermiques dont la démesure peut, au mieux aboutir à une décision d’inconstitutionnalité, au pire à des catastrophes judiciaires.
Monsieur le Ministre Gérald DARMANIN a annoncé qu’il proposerait le retrait des 12 points du permis de conduire pour toute personne qui conduit alors qu'elle a consommé de la drogue (et si c’est du CBD non psychoactif, il en serait de même…) dans une interview au Journal du dimanche, précisant que « la perte du permis n'est automatique qu'en récidive aujourd'hui ».
Cette annonce n’est pas sans soulever quelques remarques juridiques voire philosophiques.
Un souci de gradation des peines tout d’abord. A l’heure actuelle, l’infraction de conduite après usage de stupéfiants fait déjà encourir, au titre d’une peine complémentaire, la suspension du permis de conduire. Il est vrai, comme le dit Gérald DARMANIN, que ce n’est qu’en cas de récidive que l’article L.235-4 du Code de la route qu’est encourue « de plein droit à l'annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis pendant trois ans au plus ». Cependant, si cette sanction était automatique dès la première infraction, qu’est-ce qui différencierait le récidiviste du primo-délinquant en termes de répression pénale ? Quelle serait alors l’effectivité de la loi pénale ?
Autre problématique, un souci de personnalisation de la peine. Si désormais toute conduite après usage de stupéfiants donne lieu à une peine automatique d’annulation du permis de conduire, alors c’est la valeur fondamentale de la personnalisation des peines, valeur composante d'une société démocratique et d’un état de droit, qui serait atteinte en sa substance. Or, si une peine automatique est instaurée par le législateur, et de manière nécessairement objective, c’est-à-dire au regard de la seule gravité du comportement, c’est la personnalité du justiciable qui est reléguée voire écartée du débat. Est-il utile d’annuler le permis du chauffeur de poids-lourds ou de taxi parfaitement inséré socialement, professionnellement et familialement qui n’a causé aucun accident et qui a fumé du CBD ? Est-il utile, travers cette annulation de permis, de le précariser et par définition de le mettre dans une situation plus encline à la commission d’autres infractions ?
Ce populisme juridique imposant des réactions à chaud à propos d’affaires en cours et allant toujours dans le sens d’un durcissement de la loi doit être combattu ; c’est en réalité tout un système de principes et de valeurs, qui fondent notre équilibre juridique et notre système judiciaire certes perfectible, qui est remis en cause à la seule faveur d’un effet médiatique et de buzz… Les pourfendeurs de l’humoriste n’ont pas idée des dérives auxquelles leur cabale pourrait aboutir sans d’ailleurs que cela ne puisse constituer un mieux pour les victimes.
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