Dans l’imaginaire commun, le blanchiment et la fraude fiscale sont deux infractions fortement liées, l’une permettant de faire échapper des sommes d’argent à l’impôt et l’autre permettant de donner une apparence légale auxdites sommes.
La fraude fiscale est définie à l’article 1741 du Code général des impôts et réprime : « quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts […] ».
Il peut s’agir de ne pas procéder à sa déclaration fiscale dans les délais prescrits, de dissimuler des sommes sujettes à l’impôt, d’organiser son insolvabilité, d’obstruer le recouvrement de l’impôt… et la liste n’est pas exhaustive !
La spécificité de l’infraction découle du déclenchement même de ses poursuites, lesquelles ne peuvent intervenir qu’après une plainte de l’administration fiscale (sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales). Ce dispositif était plus connu sous les termes de « Verrou de Bercy ».
Ce verrou a été desserré par l’entrée en vigueur de la loi du 23 octobre 2018 qui rend obligatoire l’information du procureur lorsque le montant dû à l’administration fiscale est supérieur à 100.000 euros (Article L.228 du livre des procédures fiscales).
Pour autant, l'administration fiscale ne souhaitant pas faire un usage extensif des poursuites pénales, préférant souvent la transaction à la répression ; c’est dans ces conditions que l'action pénale est circonscrite aux infractions les plus graves.
Dépossédé de son pouvoir d’apprécier l’opportunité de poursuivre en matière fiscale, le Ministère public se prévaut désormais bien fréquemment de l’existence d’une opération dite de blanchiment pour enquêter et/ou poursuivre.
Il est rappelé que le délit de blanchiment est défini à l’article 324-1 du Code pénal, apparu en 1996. Cette infraction se caractérise par le fait de faciliter la justification mensongère de l’origine de biens ou revenus issus d’une infraction principale (en produisant des fausses factures par exemple).
Mais une deuxième forme de blanchiment existe, il s’agit d’apporter son concours à une opération de placement, dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’une infraction.
Dans ce cas précis, l’article 324-1-1 du même Code instaure une présomption d’origine frauduleuse.
En effet, le texte précise : « les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus »
Naturellement, ces comportements caractérisant le blanchiment doivent être effectués intentionnellement.
La répression du blanchiment est de 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende, la peine est néanmoins élevée à 10 ans de prison et 750.000 euros d’amende lorsque le blanchiment est effectué grâce aux facilités que procure une activité professionnelle.
La simple lecture des textes permet de comprendre le très large éventail de faits sur lesquels des poursuites pourraient être envisagées par le Ministère public, éventail encore plus large quand on sait que la cellule Tracfin, qui reçoit les déclarations de soupçons de bon nombre de professionnels du droit, du chiffre et de la finance est soumise aux dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale et se doit de signaler au parquet tout fait laissant penser à la commission d’un délit donc d’une opération dite de blanchiment…
S’agissant du blanchiment de fraude fiscale d’ailleurs, la jurisprudence ne semble pas exiger que la fraude fiscale soit poursuivie pour que le blanchiment de celle-ci soit sanctionné. Dans un arrêt du 20 février 2008, la chambre criminelle a jugé que :
« […] l'article 324-1 du code pénal (réprimant le blanchiment) n'impose pas que des poursuites aient été préalablement engagées ni qu'une condamnation ait été prononcée du chef du crime ou du délit ayant permis d'obtenir les sommes d'argent blanchies mais qu'il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l'infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses ».
Cette solution est désormais constante, d’abord consacrée par un arrêt de la haute juridiction du 2 avril 2003, confirmée par l’arrêt du 20 février 2008 n°07-82.977, il est possible de condamner une personne pour avoir blanchi des sommes issues d’une fraude fiscale, sans que l’auteur de ladite fraude ne soit puni. Il est donc possible de sanctionner pénalement la conséquence de la fraude fiscale : son blanchiment, il appartient alors au juge d’apprécier si la fraude fiscale lui paraît caractérisée sans même la réprimer.
L’infraction de conséquence que constitue le blanchiment s’est transformée, plus particulièrement en matière fiscale, en une infraction totalement autonome.
Dans la célèbre affaire Balkany prise dans son second volet, celui entrainant la condamnation du couple d’élus pour blanchiment de fraude fiscale, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 30 juin 2021, très largement commenté, que la prescription de l’infraction de blanchiment est distincte de celle de l’infraction d’origine ce qui signifie que les poursuites du chef de blanchiment demeurent possibles quand bien même celles pour fraudes fiscales seraient prescrites.
La politique pénale évolue vers une poursuite systématique en cas de blanchiment, ce qui doit amener à une attention particulière relative aux obligations prudentielles.
Nombreuses sont les professions étant exposés à la manipulation de sommes issues d’infractions, il peut naturellement s’agir de l’avocat mais également du banquier ou du notaire qui conseillerait un client sur un projet financier ou une acquisition future.
Ainsi les banquiers sont assujettis à des obligations de vigilance tant lorsqu’il entre en relation que durant la relation d’affaire, il doit notamment identifier son client ou le bénéficiaire effectif de l’opération envisagée. A défaut, il ne devra pas procéder aux opérations voulues par le client.
Très succinctement il est précisé l’obligation faite à certains professionnels de procéder à des déclarations de soupçon à l’organisme TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). On trouve notamment la liste des professionnels concernés à l’article L.561-2 du Code monétaire et financier (on retrouve banquiers – notaires – avocats – assureurs – changeurs manuel – les experts comptables – directeurs de casino – commissaires aux comptes, administrateurs et mandataires judiciaires…).
Lorsqu’ils ont connaissance ou soupçonnent un blanchiment (mais également une fraude au budget européen, financement du terrorisme), obligation leur est faite de procéder à une déclaration directement auprès de la Cellule Tracfin.
En contrepartie de cette déclaration, le professionnel bénéficie d’une immunité civile, pénale et disciplinaire (article L.561-22 du Code monétaire et financier).
Le professionnel qui ne serait pas diligent dans ses obligations de vigilances s’expose à des sanctions disciplinaires sur le fondement de l’article L.561-36 du Code monétaire et financier.
Ces sanctions ne sont pas simplement symboliques, l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de résolution) a par exemple sanctionné la BNP Paribas d’une amende de 10 millions d’euros par une décision de sa Commission des sanctions en date du 30 mai 2017.
Pis encore, le professionnel négligeant pourrait se voir lui-même poursuivi sur le fondement des dispositions réprimant le blanchiment, les peines pourraient être aggravées pour lui les dispositions de l’article 324-2 prévoyant que lorsqu'il est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle, le blanchiment est alors puni de dix ans d’emprisonnement et de 750 000 € d’amende.
Il va sans dire que la prudence est de mise.
Sophie Jonquet
Avocate
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